Barre d'onglets

vendredi 6 mai 2016

1Q84 - Tome 2, H.Murakami

Oyez oyez ! Je tiens à dire que cet article fait suite au tout premier que j'ai posté sur mon blog. Je reviendrai sur des points déjà abordés pour que cet article reste autonome, mais si vous souhaitez tout de même compléter, vous pouvez retrouver le premier post ici !

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Alors oui, je sais bien, j'ai déjà parlé du premier tome de 1Q84. Le but de mes articles n'est encore une fois absolument pas de vous spoiler les livres que je vous propose, mais au contraire de vous en donner juste assez pour vous donner envie. Néanmoins, la trilogie 1Q84 étant absolument particulière, elle  mérite un article de plus pour perfectionner l'avis que j'avais à vous transmettre. 

Ce qui a motivé la rédaction d'un second article, c'est que l'intrigue qui se dessinait doucement au crépuscule du tome 1, croît pour devenir absolument poignante dès le début du tome 2. Le premier tome servait de mise en place - on pourrait maladroitement parler de synopsis, à toute l'histoire. On y découvrait notamment des personnages travaillés de bout en bout, construit intégralement pour nous les rendre véritables : vivant. Quant à l'histoire, l'histoire pure au-delà de la psychologie des personnages, elle m'était restée presque incompréhensible, puisque amenée très doucement, comme la lente formation d'une tornade. Un point sur les personnages s'impose. On y retrouvait Tengo, un écrivain patient et méticuleux, Aomamé, une sportive mais néanmoins criminelle, ainsi que Fukaéri, une jeune adolescente de dix-sept ans qui s'est enfui d'une secte religieuse nommée Les Précurseurs, ce qui lui a inspiré le récit de La Chrysalide de l'air, roman que Tengo récrira et explosera en renommé.

Expulsés secrètement de leur année 1984, Tengo et Aomamé se retrouvent projetés en l'an 1Q84. Âgés tout deux de trente ans, ils ne se connaissent plus, mais sont liés par un profond souvenir d'enfance. Ce lien les glisse discrètement vers une autre réalité, un monde distordu, dont le ciel qu'ils perçoivent est habité par deux lunes
La Chrysalide de l'air, roman que Tengo a récrit à partir du récit de Fukaéri, évoque des choses que cette dernière dit être "vraies". Pourtant, tout semble si fantastique, hors du commun : incompréhensible. Tengo n'y prête pas gare. Mais les étranges Little People dont elle parle sont véritables, et ont un rapport de cause à effet avec cette fameuse réalité biaisée surplombée de deux lunes. Les Little People sont les Big Browsers de l'année 1Q84. En effet, le choix de l'année 1984 n'est pas un hasard : Orwell a bel et bien inspiré notre Murakami. 

A travers ce Tome 2, nous découvrons enfin ce qui relie si intensément nos deux personnages, dont le narrateur nous partage toujours les points de vue à tour de rôle, selon les chapitres. Ces deux personnages ne sont finalement pas si séparés, si éloignés qu'ils nous le paraissaient. Leur relation est d'ailleurs très originale, et poétique. De surcroît, le rythme qui se dégage y est beaucoup plus intense que dans le premier opus de la trilogie - comme une série dans laquelle on est plongée et dont on enchaîne les épisodes à la pelle sans se préoccuper du temps qui passe. Merde, ce livre m'a mis en retard au travail !

La sexualité est un sujet phare que l'on retrouve dans la plupart des œuvres de Murakami. Le premier tome ne faisait pas exception à la règle, elle est amenée d'une manière très particulière dans la seconde partie. Elle y est duelle : d'une part, la sexualité intime que Murakami sait nous confier - des scènes de partages intimes entre des êtres comme on le vit dans la réalité, sans tabou, sans exagération, juste ce qu'il faut pour ne pas rendre l'ensemble choquant et barbant : ce sont des mœurs et non de la perversité, et encore moins de la pornographie. S'ajoute à ça une sexualité étrange et fantastique, un autre domaine où s'exerce la pression des lois du monde de 1Q84 et des Little People
 
Les auteurs japonais ont selon moi une patte exceptionnelle, et sont bien loin de notre imaginaire occidental ; une fracture par ailleurs très attirante. Murakami a su mettre en place un univers tangible tant sur le point de vue de la psychologie des personnages - excepté sur certains points, ce qui s'explique très certainement par l'écart culturel non négligeable - que sur le plan de l'intrigue. Le premier tome servait à semer profondément toutes les petites graines du monde de 1Q84, et les racines si bien ancrées dans notre esprit germent parfaitement à l'orée du deuxième opus. Cette trilogie est fantastique, dans tous les sens du terme. Elle mêle fiction et réalité, toutes sortes de sentiments humains - le génie de Murakami est indéniable, et conviendra à toutes sortes d'attentes que vous pourrez avoir. 

Quant à moi, je ne peux pas vous en parler d'avantage au risque de rompre le pact anti-spoil, et sans non-plus vous gaver et finir par ne pas vous donner envie de découvrir ce monde par vous-même. Mais j'aimerai tellement avoir éveillé en vous une curiosité face à cet ovni qu'est cette série. Sérieusement,


lisez 1Q84.  


mardi 26 avril 2016

Le Carnaval aux Corbeaux d'Anthelme Hauchecorne, pour petits et grands, adultes et enfants méchants

Salut les explorateurs des pages cornées. Aujourd'hui au menu, je vous propose un délice bien chargé, une bombe en bouche pleine de rimes rythmées et d'odeurs festives, aromatisées à la pomme d'amour et à la pisse-trouille, sur son lit d'ectoplasme et de spectres macabres ! Vous avez toujours faim ? Alors c'est parti, et bon appétit bien sûr !



 (*cri d'épouvante*)

  Le Carnaval aux Corbeaux, est le premier tome d'une série intitulée Le Nibelung, paru aux éditions du Chat Noir, écrit par Anthelme Hauchecorne, et illustré par Loïc Canavaggia et Mathieu Coudray.  - D'ailleurs je remercie la maison d'édition qui m'a envoyée un marque page avec ; j'ai beau lire des bouquins à la pelle, je n'ai jamais eu la présence d'esprit de m'en procurer un chouette. Celui-là il a une citrouille dessus et me souhaite une joyeuse Halloween tout au long de l'année, alors je vous remercie si vous passez par là ! ("Lulla, personne passe jamais par là... - Bobby, va bien te faire voir !") Trêve de bavardages, il est temps de rentrer un peu plus dans le vif du sujet, et mon dieu que j'ai des choses à dire.

  Je tiens à préciser que je suis totalement vierge de cet univers d'épouvante et autres fantaisies, mis à part quelques Stephen King et autres Chaire de poules qui sont mes uniques expériences en la matière, je me suis de ce fait lancée dans une aventure totalement neuve et inattendue !
Avec la couverture, ça commence fort, c'est un gros bouquin en forme de grimoire qui envoie du pâté quand on l'a sous les yeux. Un gros truc cartonné, avec des couleurs qui fonctionnent bien : les citrouilles orangées au premier plan et un ciel apocalyptique gris-bleu à l'arrière, des complémentaires donc reliées par un corbeau charbonneux à trois yeux et la Faucheuse sur un cheval grisonnant ; question couleur et composition, la couverture a été très soignée.  Malheureusement, les illustrations qui bourgeonnent au cœur du livre ne m'ont pas particulièrement plu - voire déçue puisque j'achetai le livre en partie pour les découvrir ; mais entre le papier qui ne change pas de qualité, les dessins noir et blanc trop ternes, partiellement pixelisés et/ou flous qui plus est (et ça franchement c'est chaud, l'illustration dans ce livre n'étant pas un détail mais une caractéristique qui est sensée fonctionner, ça plombe franchement le tout), à mi-chemin dans ma lecture j'ai fini d'espérer rencontrer des images qui me plaisaient pour me concentrer sur le roman en lui-même. Passée cette déception, recentrons-nous sur l'histoire. 
  Ludwig est un jeune gamin de 13 ans, vivant seul avec sa mère (on dirait fortement le début du Chardonneret mais je vous jure que ça n'a rien à voir), son père ayant quitté le foyer familial peu après sa naissance pour des raisons obscures. "L'ado" comme il est souvent appelé par le narrateur, n'a qu'un seul but : retrouver son père qu'il sait vivant. Sa mère au cœur brisé par son époux volatil aura pourtant tenté de l'en dissuader, mais c'est envers et contre tout qu'il se retrouve à suivre les traces de son père dans un univers... abracadabrantesque. 

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"Dans la cuisine aux lumières éteintes, six bougies coiffaient un gâteau d'anniversaire. Face à lui, sa mère souriait. Sous l'emballage cadeau qu'il émietta, le petit Ludwig exhuma une boîte de feutres neufs. La voix maternelle lui suggéra de faire un vœu. Obéissant, le môme formula son souhait tout haut 

- Je veux que Papa revienne.

Sa maman tressaillit. Elle fondit en larmes et quitta la table. 

Le bout de chou resta seul. Le cœur gros, il dessina sur la nappe. Un tronc, une tête, deux bras et deux gambettes... Un papa de papier tracé à l'encre verte." 

(extrait du IX, I, page 184)

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  Le roman se découpe en diverses parties et sous-chapitres qui se positionnent sous le point de vue de Ludwig, de sa mère Julia, mais aussi de son meilleur ami Gabriel. C'est également son seul ami, et pour cause, Ludwig est un garçon flippant qui s'adonne au spiritisme et autres pratiques pour entrer en contact avec les morts. En transe, il produit des œuvres étranges qui ne sont pas sans rappeler celles de son père, également artiste. Il finira par retrouver la trace de ce dernier avec qui il n'aura de contact qu'à travers des missives dégueulant de mystères, apportées par d'étranges corbeaux à trois yeux. C'est à l'occasion d'une fête foraine des plus étranges, animée par l'Abracadabrantesque festival, que Ludwig en apprend plus sur son père et sa disparition.
  Pour ce qui est du scénario, il est énorme, incroyablement bien fourni, beaucoup de péripéties vous attendent et vous ne serez pas déçus si vous êtes en quête d'aventures et de frissons ! M.Hauchecorne n'est pas radin en matière d'histoires farfelues et d'horreur, et il saura satisfaire votre imaginaire. 
  Au-delà de l'histoire, l'auteur a un style d'enfer. Rien ne pouvait mieux lui aller que de parler "fête foraine glauque", il en maîtrise parfaitement le langage : ça foisonne de descriptions, d'adjectifs, d'odeurs... C'est aussi un humour bien gras qui vous sera offert, m'écorchant parfois un rire à la tire ! 

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"Ludwig rejoint l'ancien presbytère. La bâtisse lui paraît d'une laideur hypnotique, ronde et délabrée comme le donjon d'un conte biscornu avec son toit gondolé. Son ciment lépreux dévoile ses entrailles de grosses pierres. La sonnette manque de l'électrocuter. Non contente d'être moche, l'édifice a sale caractère." 

(extrait du VIII, I, p.166)

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Cet ouvrage est un bijou, vous êtes assuré de passer une merveilleuse lecture. Les personnages portent tous tellement de défauts, il n'y a aucune idéalisation, tout est macabre, plein de retournements de situations, de petites intrigues et de danger. On ne sait jamais où l'on va. On n'a pas plus d'informations que les personnages que nous suivons. Nous sommes plongés dans un univers bien loin du notre, à l'orée du monde des vivants et des morts, perdus bien loin de nos repères. Et c'est tellement bien fait. 

Tous les tours proposés ne vous coûteront que deux sous. 



jeudi 7 avril 2016

Le Chardonneret, Donna Tartt (à la crème) (Non allez les gars, partez pas ! Soyez cools, quoi !)


Bon, si vous êtes en train de lire ces lignes c'est que vous avez pas fui devant cet affreux parpaing humoristique que j'ai lancé en travers la gueule de cette chère Donna. Mais vengeance, chacun son parpaing, toi, tu m'en as pondu un de 1050 pages, et j'ai tout lu. Tout. 
  
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  Le Chardonneret, c'est un best-seller (*applaudissements*) dont on apprend qu'il a remporté le prix Pulitzer sur la quatrième de couverture de l'édition Pocket. Et c'est assez étonnant de savoir qu'un tel pavé qui parle D'ART ait remporté un tel succès. Le Chardonneret en effet est une pièce magnifique d'un artiste peintre nommé Fabritius. C'est une occasion en or de réviser ses classiques (et même d'en découvrir) aux côtés de Théo, notre héro, qui dès les premiers chapitres nous frotte à un univers artistique très riche ; nombreuses y sont les références - ce genre de détails vrais, au sens où ils existent vraiment, donnent une profondeur non-négligeable à l'univers mis en place dans ce roman. Le livre est structuré en 6 grandes sections, titrées par des citations de grands écrivains (Rimbaud, Camus...), divisées en chapitres, eux-même fractionnés en sous-chapitres. C'est une œuvre colossale, extrêmement travaillée, structurée, achevée jusqu'à la moelle.


  L'histoire débute sur notre personnage, malade à en crever dans un lit à Amsterdam. Pourquoi est-il là ? Pour y répondre, Théo nous emmène à l'époque où il est un jeune garçon de 13 ans vivant seul aux côtés de sa mère avec qui il entretient une complicité sans pareil. Il tire par ailleurs sa culture et son goût prononcé pour l'art de cette dernière. Son père lui, un acteur raté doublé d'un alcoolique misérable, s'est tiré au Texas sans crier gare, abandonnant sa femme et son fils. C'est lors d'une visite au musée qu'un attentat emporte sa mère. Le millier de pages que comporte ce livre, c'est tout le processus de destruction et de reconstruction qui façonnera son existence. Toute sa vie, l'explosion qui a détruit son monde ne cesse de bourdonner en une douloureuse lame de fond au creux de son être. Par ailleurs, c'est lors de cet attentat qu'il se retrouve le détenteur du tableau, Le Chardonneret, auquel il vouera une véritable obsession. 
Cet ouvrage nous livre avec brio l'impact d'un trauma sur toute la durée d'une vie à travers un thriller intelligemment ficelé. Nous sommes face à un personnage véritable, avec beaucoup de profondeur. Ses angoisses maladives le poussent vers des actes dangereux, une vie biaisée, loin du confort d'une petite vie simple - auquel il est incapable d'avoir accès. On y découvre toute une poésie bleue, la désillusion, la souffrance avec un gigantesque S majuscule, le refuge dans les états seconds qui soulagent un trop plein de conscience.

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  Je reconnaitrais volontiers que lire ce livre jusqu'à la fin peut se montrer éprouvant. Certains passages sont très longs, il ne se lira pas rapidement ni forcément facilement. Le style n'a selon moi rien de complexe, rien d'inaccessible. Il faudra juste être concentré. Mais si vous êtes comme moi et que vous avez toujours envie d'en découdre avec un livre entamé, c'est un défi qui ne vous laissera pas sur le carreau, et vous n'y perdrez rien. C'est une belle œuvre à découvrir. Malgré quelques reproches que je pourrais faire comme beaucoup de morts "gratuites" tout au long du roman (mais je ne vous en dit pas plus, mon engagement solennel anti-spoil est sincère, je veux vous donner envie !), il reste néanmoins légitime dans son succès et vous pouvez vous y plonger sans aucun doute. Surtout si vous avez le même penchant que moi pour l'aspect psychologique des personnages plus que pour l'histoire en elle-même. Néanmoins, l'histoire saura jusqu'au bout vous tenir en haleine.